samedi 25 décembre 2010

Joyeuses fêtes

Anne s'est toujours demandé pour sa mère cuisinait autant de nourriture en prévision des fêtes. D'autant plus cette année, puisqu'elle prévoyait de passer un Noël tranquille. Mais comme à chaque fois, la mère avait préparé une douzaine de pâtés à la viande et des tartes aux pommes, avec les restants de la pâte. Elle avait fait du ragoût, des lasagnes, des beignes et des biscuits. Elle avait tout congelé.

Le matin de Noël, la maisonnée était déserte chez les Lajoie. Puis vers midi, Anne est arrivée chez sa mère, avec son conjoint et les enfants. Aux alentours d'une heure et demie, les deux tantes, Thérèse et Andrée, sont venues faire un tour. À trois heures, trois cousins sont arrêtés prendre un verre.

Au moment de mettre le couvert pour le souper, une douzaine de personnes étaient réunies autour de la table de la cuisine. La mère d'Anne n'a eu qu'à réchauffer les pâtés, quelques desserts. Tous ensemble, ils ont fêté Noël.

dimanche 19 décembre 2010

Le duel

Anne fait du ski. Au milieu d'une montagne haute à couper le souffle, un autre skieur la dépasse. Un homme, athlétique, grand, brun. C'est ce qu'elle en déduit, de par la couleur de sa barbe; ses cheveux étant cachés par une tuque. Avant qu'il la croise, elle le sent derrière elle, presque sur ses talons. Puis, il la double d'un pas rapide, lui jette un coup d'oeil au passage, la salue d'un coup de tête. Elle le voit devant. Le regarder aller sur ses skis : son cuissard moulant, aérodynamique, son manteau bleu acier dernier cri, ses verres fumés. Elle est derrière lui, presque sur ses talons. Juste avant d'attaquer le dernier quart de la pente, l'homme perd pied, trébuche devant elle. En le dépassant à son tour, Anne pense : « Peut importe l'habit et l'allure des jambes, quand on tombe, on a l'air con. »

mardi 14 décembre 2010

Du bonbon temps

Elle ne mange pas de bonbon en faisant autre chose; ce serait un plaisir gaspillé. Elle s'assoit plutôt sur le divan, la sucrerie entre la main et la langue. Elle déguste lentement, laisse l'eau lui monter à la bouche, pense à ce qu'elle mange, mastique longtemps avant d'avaler. Elle en fait un instant de bonheur.

vendredi 10 décembre 2010

Mon beau sapin

Chez Laura, la neige tombe au même rythme que les aiguilles du sapin sur le plancher de bois franc. Des aiguilles, il y en a maintenant entre les lattes de chêne, sur le cadre de la fenêtre du salon, entre les mailles du tapis de la porte d'entrée, sous le divan, et sous la table à diner, et sous les tabourets de l'îlot. Des aiguilles, il y en aura jusqu'en juillet. Seulement le 10 décembre, et Laura se demande déjà pourquoi elle s’entête chaque année à choisir un arbre naturel.

mardi 7 décembre 2010

Les bleus

Quand elle s'assoit — au bureau, en réunion, au restaurant —, Anne se croise les jambes. Elle ne devrait pas, elle le sait : se croiser les jambes favorise l'apparition des varices. Elle l'a lu quelque part. Anne n'a cependant pas trouvé d'autre façon de s'asseoir avec élégance. Tant pis.

Le matin, quand elle sort de la douche et qu'elle sèche son corps mouillé, Anne regarde les veines bleues qui semblent vouloir se dessiner sur ses jambes. Bientôt, Anne devra donc se contenter d'être élégante en pantalon.

dimanche 5 décembre 2010

Toilettes publiques

Quand elle va aux toilettes publiques, Claire n'aime pas voir le visage de celle qui a fait pipi avant elle. Elle préfère ne pas savoir quelles fesses ont touché le bol avant les siennes, quelles mains ont tiré la chasse d'eau avant d'être lavées. Quand elle le peut, Claire choisit une cabine vide en contournant poliment la porte qu'une autre a tenue ouverte pour elle. Sinon, elle se glisse à toute vitesse entre les murs en gardant les yeux baissés.

mercredi 1 décembre 2010

Des bananes

Anne revient du marché. Elle a acheté du basilic, des épinards, du pain de ménage, du fromage, des pâtes fraîches, un ananas, des bananes, entres autres. Elle range les herbes, les pâtes et le fromage au frigo. Le reste de la commande sur le comptoir. Les bananes bien jaunes sont allées remplacer les autres, bien brunes, dans le panier à fruit.

Anne épluche les fruits trop mûrs, les met dans un contenant de plastique qu'elle range au congélateur. Pour faire un gâteau, pense-t-elle, en refermant la porte sur les dix contenants remplis de bananes brunis. Anne ne cuisine jamais de gâteau. Pourtant, Anne s'entête à garder ses bananes.

lundi 15 novembre 2010

Saint-Bernard

Laura marche dans la forêt derrière chez elle. Elle croise un homme accoudé à un arbre en train d'uriner. Il ne la voit pas. Elle le voit de profil. Son dos courbé, sa barbe blanche, sa joue molle et tombante, ses cheveux drus. Un chien.

mardi 9 novembre 2010

Au sec

Dans sa voiture en direction du bureau, Anne écoute la radio. Ce matin, l'animateur dit : « Soyez imperméable au cynisme ambiant. » Anne regarde alors ses bottes de caoutchouc toutes neuves. Elle en voudrait des semblables pour ses oreilles.

lundi 8 novembre 2010

11:11

Claire regarde son cadran. 11:11. Elle fait un voeux. Puis, elle se souvient d'avoir oublié de reculer l'heure. Un autre rêve envolé, pense-t-elle.

samedi 6 novembre 2010

Un soir de vin

Il est sorti voir des amis. Elle est restée à la maison avec le bébé. Dans la soirée, elle lui envoie un texto sur son cellulaire. « La petite beugle depuis deux heures. Le vin du souper n'est pas buvable. J'ouvre une autre bouteille. » Il répond : « Ouvre celle que tu veux, ma chérie! »

vendredi 5 novembre 2010

La huitième gorgée

L'auteur du blogue « L'histoire des autres » a écrit un livre. La huitième gorgée. Elle vous invite à l'acheter. Et surtout, à le lire.

La défaite

Claire se regarde dans le miroir et se trouve laide. C'est sûrement les hormones. Elle pleure en lisant la menace de l'ouragan Tomas qui plane sur Haïti. Sûrement les hormones. Cri après son chum qui traîne. Sûrement les hormones. Contre sa fille qui hurle pour rien. Sûrement les hormones. Puis d'un coup, elle éclate de rire. Elle rit longtemps, pour rien. Claire rit et pense : « C'est sûrement les hormones. »

mercredi 27 octobre 2010

Premier anniversaire

Le 18 octobre dernier, le blogue a eu un an. Merci à tous ceux qui continuent à lire.

Mission impossible

Il y a certaines tâches qu'elle n'arrive jamais à faire correctement. Comme plier un drap-contour. À part ça, Laura est une maîtresse de maison hors pair.

dimanche 24 octobre 2010

Chicane de ménage

L'heure du souper. Ils sont assis à table avec les enfants. Ils se parlent comme dans une chanson de Renée Martel.

— Va c-h-i-e-r!

Les enfants rigolent. Ils imaginent un secret qui les concerne. Une visite au zoo? La liste des cadeaux de Noël?

— Mange de la m-e-r-d-e!

Et eux, ne venaient-ils pas de danser, hier à peine?

lundi 18 octobre 2010

Slow

Ils ont dansé. Trois couplets et deux fois le refrain d'une chanson. Ils ont bordé les enfants, sont retournés au rez-de-chaussée. La radio jouait encore. Plaisirs dénudés, de Pierre Lapointe. Un air joyeux, des paroles mélancoliques. Il a tendu la main, elle l'a prise. A posé sa tête sur son épaule large. A même osé fermer les yeux. Leurs pieds bougeaient à peine. Leurs coeurs bougeaient encore.

mercredi 13 octobre 2010

Larmes

Elle regarde à travers ses verres de contact comme l'on regarde par une fenêtre embuée. Les lentilles lui piquent les yeux, les trompent, lui renvoient une image floue des visages, des feuilles colorées des arbres, des voitures, des lettres des écriteaux qu'elle n'arrive pas à lire. Elle a mal à ces yeux qui ne voient plus clair. Elle a trop pleuré.

mardi 5 octobre 2010

Le bain

La température du bain de Laura est rarement parfaite. Souvent, elle ne fait que rajouter de l'eau neuve à la vieille eau devenue froide des enfants, qui se sont baignés deux heures plus tôt. Dans ces temps-là, le bain reste tiède. N'arrive jamais à se réchauffer suffisamment. Laura n'y reste jamais longtemps.

D'autres jours, Laura ouvre trop grandes les champlures, puis laisse s'emplir la baignoire avant d'y saucer l'orteil. Ces fois-là, l'eau presque bouillante l'épuise, lui trempe la nuque et le front de sueur, l'empêche de se concentrer sur les mots du bouquin qu'elle aime lire, une fois mouillée.

Mais certains soirs, c'est l'instant de grâce. L'eau juste assez chaude délie son cou, détend ses jambes, vide sa tête pleine, caresse sa peau picotée d'un frisson de bien-être. Ces soirs-là, Laura pourrait se noyer que ça lui ferait plaisir.

lundi 27 septembre 2010

Auror

Maryse se réveille à 4h04, toutes les nuits. À 4h06, Claire se lève pour bercer le bébé. Elle la tient serrée contre elle. Se balance les yeux clos, l'index droit offert à la petite qui l'enroule entre ses doigts à elle. Claire ne pense à rien, n'a presque pas conscience d'être là sur une chaise, avec sa fille entre les bras.

Vers 5 h, Claire entend le journal du matin frapper le pas de la porte d'entrée, le camelot regagner sa voiture. Une heure vient de passer. La mère dépose sa fille dans sa couchette, retourne se coucher.

Une heure plus tard, le bébé se réveille, prêt à se lever.

mercredi 22 septembre 2010

L'oiseau

Laura a sauvé un oiseau. Elle sortait jouer au parc avec les enfants. Un chat s'est approché avec la bête à plumes dans la gueule. Elle lui a fait peur. Il a desserré les dents. L'oiseau s'est envolé.
— Pourquoi t'as fait ça, maman?
— Pour ne pas qu'il meure, l'oiseau.
— Pourquoi? C'est pas l'fun de mourir?
— À vrai dire? J'sais pas.

jeudi 16 septembre 2010

Les projets

Toujours chez Nancy Huston. Toujours le même livre : « La vie?/Cette chose/qui s'est passée pendant qu'on/faisait des projets. » Oh la la!

mardi 14 septembre 2010

Mexico

Elle faisait la cuisine. Du mexicain. Du boeuf et des oignons hachés finement, des haricots noirs, des piments forts. Elle tranchait le piment en fine lanière, sentait le jus du légume lui piquer les doigts.

Le bébé s'est mis à pleurer. Il n'était pas encore 16 h. Peut-être pouvait-il dormir encore un peu? Elle est montée à l'étage pour lui remettre sa suce. C'est pressé de le faire. De prendre la tétine entre ses doigts, de trouver les lèvres du bambin, de la lui enfoncer dans la bouche. Le bébé a crié plus fort. Elle avait oublié de se laver les mains.

samedi 11 septembre 2010

Etre ou ne plus être

Elle lit Nathalie Petrowski, qui parle d'un livre. Être ou ne plus être, de Marcel Boisvert et Serge Deneault. La correspondance entre deux médecins. Un débat sur l'euthanasie. Dans sa dernière lettre, dit la journaliste, Daneault écrit à Boisvert : « Je dirais que la souffrance dont tu fus témoin dans ta vie t'a souvent paru ignoble et inacceptable. C'est pourquoi la perspective de la vivre et de la faire vivre te paraît scandaleuse. Pour ma part, j'ai trop vu de fins de vie où l'inattendu survient sans avertir, où un bonheur se glisse au détour d'un mot, d'un pardon, d'un dernier je t'aime, pour risquer une seule fois d'empêcher ce bonheur par la provocation délibérée de la mort. » Voilà. Elle se promet de lire le livre en entier.

dimanche 5 septembre 2010

Le pied

Elle lit le dernier livre de Nancy Huston. Elle lit : « Ça se saurait si le vagin était un organe érogène, se dit-elle. Comment ferions-nous pour y enfoncer nos tampons périodiques quatre fois par jour, six jours par mois, douze mois par an, sans éprouver au moins de temps en temps un frisson de plaisir? Mais non. Aucune femme ne ma jamais avoué en rosissant qu'elle prenait son pied de cette façon-là... » Elle rit! Ah! ce qu'elle rit! Dieu qu'elle se sent moins seule!

samedi 4 septembre 2010

Canicule - la fin

Enfin, elle peut ouvrir les fenêtres.
La brise de fin d'été lui fait du bien.

vendredi 3 septembre 2010

Le psy

Elle le paie 100 $ l'heure pour lui parler de ses ennuis. Il l'écoute, a l'air concentré. Il prend des notes. Il lui apporte même des solutions.

Face à lui, elle parle. Elle s'entend, elle a honte, mais sa bouche continue. Sa tête ne pense plus, enfin.

Son mari, ses amis à elle ne pourraient pas comprendre. Alors pour eux, elle sourit.

dimanche 29 août 2010

La rentrée

Elle a cueilli des fleurs des champs avec sa fille. Elle a déposé le vase sur la table de la salle à manger, devant la grande fenêtre faisant face à la mer. Le matin, elle déjeunait en regardant les fleurs, l'eau souvent calme, le ciel, de l'autre côté de la vitre. Elle était bien.

Depuis deux jours, elle est de retour des îles. Elle voudrait y retourner.

lundi 9 août 2010

Trois semaines de vacances

Les cinq valises sont pleines à craquer. Neuf maillots de bain, de la crème solaire, des vestes en laine, en coton, en polar, des lunettes pour le soleil, pour la mer, pour la vue, des robes, des chandails, des longs, des courts, des légers, des épais, des imperméables, des souliers de course, des souliers de plage, des livres, des ballons, des pelles, du champagne à mettre au frais dès qu'on arrive. Et l'ordinateur portable qui reste à la maison.

vendredi 6 août 2010

Martin Léon

Ça ne va pas très bien entre lui et elle. Le patron pour lui, les finances pour elle. Le lit pour lui, les enfants pour elle. Et les rides aussi, et le ventre pour elle. Alors, lorsqu'ils sont ensemble, c'est rien qui va.

Pourtant, alors qu'elle roule dans sa voiture au rythme d'une chanson de Martin Léon, elle s'imagine ouvrir la porte de la maison et se presser d'aller le rejoindre. Elle pense à garder ses souliers à talons malgré le bois verni du plancher de chêne. Elle rêve de laisser faire le porte-document et les messages sur le cellulaire, d'arriver en coup de vent et de balayer son visage d'un baiser tendre. Pour rien, sinon pour faire comme dans la chanson.

Quand elle stationne dans l'allée devant le garage, elle est prête. Jusqu'à ce qu'elle coupe le moteur de la voiture. Tout à coup, la magie disparait dans le silence de la nuit. Elle n'a maintenant qu'une envie: aller se coucher.

jeudi 29 juillet 2010

Cadeau

Et puis, un jour, le bébé sourit.
D'un coup, on oublie tout le reste.

jeudi 22 juillet 2010

Solo

Il se branle sur le divan du salon en plein dimanche après-midi. Il le fait face à la porte d'entrée. Il a tiré les rideaux, mais n'a pas barré la porte. Il a les jambes ouvertes, la verge entre les mains, et il se fou qu'elle arrive et le surprenne. Ils n'ont pas fait l'amour depuis trois mois.

dimanche 18 juillet 2010

Telle mère telle fille 2

Ils disent : « Ça ne vas pas du tout avec elle. Votre fille s'isole. Elle n'est pas normale. »

Alors, Laura veut courir se cacher. Elle veut rester seule, elle aussi. Et pleurer.

jeudi 15 juillet 2010

Telle mère telle fille

Ils disent : « Comme elle s'exprime bien votre fille! » Alors, Laura se racle la gorge.

Ils disent : « Comme elle a les doigts fins, les yeux clairs, les jambes longues. » Alors, Laura allonge les siennes. Les croise élégamment.

Ils disent : « Comme elle est jolie cette petite! » Alors, Laura se sent belle. Et tellement fière.

mardi 6 juillet 2010

Juillet

C'est l'été. Les enfants dorment. En même temps. Laura s'épuise sur une chaise longue dans le jardin. 32 degrés à l'ombre, un bol de cerises, un verre de chardonnay qu'elle boit vite pour ne pas qu'il tiédisse. Juillet. Dans la plate-bande qui longe la piscine, les mauvaises herbes côtoient les hémérocalles, les mauves, la lavande. Des fleurs sauvages qu'elle se force à trouver belles pour ne pas se sentir coupable de rester assise au lieu de désherber.

jeudi 1 juillet 2010

Orgasme

Elle n'a jamais joui.
« Je n'ai jamais joui », avoue-t-elle aux trois autres qui sont assises autour de la table. Heureusement, des amies.
— Tu n'as jamais joui! », crie l'une d'elles.
— Non, je n'ai jamais joui.
— Tu n'as jamais joui? » demande une autre.
— Jamais. Pas à deux, ni à trois. Pas même seule.
Puis, elle réfléchit. Elle ajoute : « Mais oui, bien sûr, j’ai joui! La langue bien creuse dans une mousse au chocolat! »

lundi 28 juin 2010

La vie en noir

Dans le garde-robe de la fille d'Anne : des souliers de course roses, un manteau de pluie bleu, cinq pyjamas arcs-en-ciel et de pantoufles assorties.

Dans le sien : des chaussures et des vestons noirs, trois petites robes noires, des écharpes et des cardigans noirs, un manteau assorti.

Devant ses vêtements et devant ceux de sa fille, la mère se demande à quel moment la vie perd toutes ses couleurs.

jeudi 24 juin 2010

Quelle histoire!

La fille d'Anne vient de découvrir Cendrillon. La voilà obligée de mentir en y faisant croire que le prince charmant existe.

mardi 22 juin 2010

Happy again

Plongée dans un bain chaud malgré l'humidité qu'il fait dehors.
Un verre de vin frais, la lueur des chandelles.
La musique de Bobby Bazini dans ses oreilles.
La chanson « Learn Again » qu'elle fait jouer en boucle sur son iPod.
Ne plus entendre les enfants pleurer.

vendredi 18 juin 2010

Les monstres

Au beau milieu de la nuit. Laura, couchée dans le lit de sa fille. Allongée contre elle, les doigts dans ses cheveux. Elle chasse, d'une main habile, des monstres imaginaires.

Au beau milieu de la chambre, Laura essaie de se souvenir. À quand remonte sa dernière nuit de plein sommeil? Elle ne sait plus très bien.

samedi 12 juin 2010

Mère indigne

Elle voudrait tomber malade.
Être admise à l'hôpital.
Se faire opérer d'urgence.
Rester aux soins intensifs de longues semaines.

Elle voudrait ne plus être en mesure de s'occuper de sa fille.
Voudrait qu'on soit obligé de le faire à sa place.

Elle lit les chroniques d'une mère indigne sur Internet. Elle s'y reconnait.

lundi 7 juin 2010

Vanité

Sa femme lui avait ramené de la pharmacie un échantillon de crème pour le visage. Un tube qu'on lui avait remis avec ses achats à elle. Il a vidé le pot en trois semaines.

Il est sorti acheter des ampoules et du savon à vaisselle, des piles et des couches pour le bébé. En passant près du comptoir des cosmétiques, il a demandé pour un tube de crème. Le même que sa femme lui avait donné.

— Ça fait 109,96 $, s.v.p.. 
— 109,96?! 
— C'est 56,00 pour la crème. 

Il se sentait floué.

vendredi 4 juin 2010

Jean Coutu

Un paquet de serviettes hygiéniques. Une boîte de pilules contraceptives. Un rouge à lèvre.
Un aller-retour à la pharmacie. Une première sortie depuis la naissance du bébé.
Un peu de liberté.

lundi 31 mai 2010

Maryse

Maryse est née. Presque belle, avec son petit visage fripé. De grands yeux encre bleu. Le plus beau cadeau.
Depuis qu'elle est au monde, Claire pleure.

samedi 22 mai 2010

Tachée

À l'épicerie, Claire a croisé un bébé fille et sa mère, qui poussait le carrosse. Elle s'est approchée de la petite, prête à sourire. Elle est restée bouche bée. Entre l'oeil droit et le gauche, une tache de naissance. L'Amérique du Nord en bourgogne lui masquait les yeux. Claire n'a rien trouvé à dire. Elle a toutefois salué la mère, pour être polie.

« Et si Maryse avait la planète terre de tatouée sur le corps au grand complet? Et si elle avait 8 doigts? Trois oreilles? » Depuis qu'elle a croisé l'autre petite, Claire ne dort plus.

lundi 17 mai 2010

Les enfants

Des amis et leurs deux petits garçons voyagent autour du monde. Le rêve, jusqu'à vendredi dernier. Depuis, le plus jeune est très malade. Une pneumonie à pneumocoque. L'enfant est aux soins intensifs dans un hôpital de Lausanne, en Suisse. Il ne va pas bien du tout.

Dans un courriel des parents, cette phrase : « Saisissez votre bonheur aujourd'hui, car vous ne savez pas de quoi demain sera fait. » On sait. Et même en sachant cela, on chiale. Contre une ride qui nous creuse le front. Contre une trace de doigt sur un divan beige. Contre l'automobiliste d'en avant. On chiale...

À la fin du message, les parents écrivent : « Si votre enfant sourit aujourd'hui, chérissez ce moment précieux. » Alors, ris, ma petite. Et vient ici que je t'embrasse.

vendredi 14 mai 2010

Petit papa

« Tu l'aimes ton papa, hein ma chérie? » Il a honte de poser la question. Ce devrait être à elle de quémander un peu de réconfort. Pourtant, alors qu'il regarde sa fille de cinq ans tournoyer, la tête haute, dans sa robe de ballerine, Luc crèverait pour une caresse. Mais la petite reste au beau milieu du salon, à trois mètres du papa qui tend les bras. Elle semble trop loin déjà.

mardi 11 mai 2010

Beaux pieds

Claire s'est fait faire un pédicure. Des orteils propres, des ongles bourgogne. Au moins, quand elle aura les cheveux en bataille et le front moite; quand sa jaquette d'hôpital lui sera remontée par-dessus le ventre; quand elle aura les jambes toutes grandes ouvertes et l'envie de crier, elle pourra, entre deux souffles, fixer ses pieds et se trouver belle.

jeudi 6 mai 2010

Insomnie

Le matin, les oiseaux commencent à chanter à 4 h 02. Ils doivent être quinze autour de sa fenêtre, à siffloter toujours la même chanson. Ils semblent heureux, vifs et réveillés, malgré le ciel encore noir.

Pendant leur concert, elle reste étendue dans son lit, les yeux encore ouverts derrière ses paupières closes. Dans sa tête, elle plume les oiseaux un à un. Une fois la dernière enlevée, elle s'endort enfin. Vers 5 h.

lundi 3 mai 2010

La liste

Anne voudrait tellement arriver à tout faire. Comme changer les draps toutes les semaines. Rincer les maillots à l'eau claire et au savon doux dès qu'on sort de la piscine. Entretenir sa couleur de cheveux. Épousseter les armoires chaque printemps. Manucurer ses ongles d'orteils. Laver le fond de la poubelle entre chaque sac à ordures. Faire l'amour à son mari chaque lundi.

Elle essaie très fort, mais n'y parvient pas. Il lui arrive même de laisser faire le brossage de dents des enfants avant de partir pour le travail et la garderie. Elle a honte juste d'y penser.

vendredi 30 avril 2010

Jolie femme

Claire voudrait ressembler à Angelina Jolie, avec un ventre devant et rien derrière. Un ballon de plage attaché à un corps resté gracile, des jambes encore minces, des bras fins. Un visage de lèvres, seulement de lèvres. Non pas de joues et de paupières enflées. Elle voudrait faire fondre ses cuisses, ses fesses qui semblent voler la vedette à son ventre de femme enceinte. Elle se demande à quoi ressemblait Angelina Jolie, à la veille d'accoucher.

dimanche 25 avril 2010

Cadeau

Anne l'a détaché de son siège, la fait descendre de la voiture. Le petit s'est précipité sur les fleurs jaunes qui parsemaient le gazon depuis le matin. « Regarde les fleurs, maman! Elles sont magnifiques! Qu'est ce que c'est? »
— Des pissenlits, mon chéri. »
Il en avait déjà un dans les mains, le tendait à sa mère. « C'est pour toi, maman d'amour! »
D'un coup, la mauvaise herbe embaumait.

mardi 20 avril 2010

Crise de larmes

Non! Ça ne va pas du tout!

Voilà ce qu'elle voudrait écrire au beau milieu de la page blanche. Voilà! En lettres rouges, détachées, majuscules, ponctuées de treize points d'exclamation.

« NON! ÇA! NE! VA! PAS! DU! TOUT!!!!!! », qu'elle voudrait crier au patron qui en redemande encore, au mari mécontent, aux enfants malades, au soleil du printemps! « Non! » Et pleurer encore et encore, jusqu'à ce qu'on lui demande gentiment : « pourquoi? » Et qu'elle réponde : « Je ne le sais même pas! »

jeudi 15 avril 2010

Trop d'amour à porter

Depuis une semaine, Claire pense : « Avec 50 lbs d'amour à porter, il est parfois difficile d'aimer inconditionnellement. »

dimanche 11 avril 2010

Rien faire

Juste pour un instant, elle voudrait ne rien faire. Simplement s'asseoir et fermer les yeux. Ou même, les garder ouverts. Les fixer sur un mur, sur le bourgeon d'un arbre, sur une trace de doigt dans une fenêtre, même. Et arriver à ne pas broncher. À ne pas s'en faire pour cette tache, à ne pas la voir. À rester assise, tout bonnement.

mardi 6 avril 2010

Le divan

Elle a changé le divan, elle en rêvait depuis des mois. Un canapé à trois places, ivoire aux lignes carrées, en cuir d'Italie. Très souple, très cher. Elle s'étend sur la peau fraîche, la tête sur l'accoudoir. Étire les jambes comme font les femmes photographiées dans les magazines de décoration. Elle se sent bien. Ça y est, elle a tout. Enfin.

Voilà une semaine que le divan a pris sa place. Elle aime encore s'y allonger tranquillement pendant la sieste des enfants. Elle couche sa tête sur le coussin, remonte ses jambes vers la poitrine, ferme les yeux. Elle somnole. Ne pense à rien.

Maintenant deux semaines que le divan a pris sa place. Elle passe devant sans le voir. Le soir, après le bain des enfants, elle s'y effondre, exténuée. Elle fixe le mur. Non, ça ne va pas du tout. L'ivoire jure sur un fond vanille. Il faut absolument repeindre le salon.

vendredi 2 avril 2010

Un air d'été

Claire a enfilé une robe brune au pointillé beige. Un ourlet frisé, un décolleté plongeant, une gorge blanche. Elle a laissé faire les bas, il faisait plus de 20 degrés dehors. Sous sa robe, elle ne portait rien. Même pas de culotte à dentelle. Elle sentait le vent chaud lui chatouiller les cuisses, le bas de son ventre énorme. Enfin, ce ventre était bien. Libre de manteaux, de bandes élastiques, de pantalons à panneau. Libre de toute autre chose que le bébé, qui semblait dormir enfin.

lundi 29 mars 2010

Une femme forte

Elle soulève des haltères. Douze fois, quinze fois, vingt fois, puis elle recommence. Jusqu'à ce qu'elle ait mal. Jusqu'à ce que ça lui fasse du bien.

Elle s'entraîne face aux miroirs devant lesquels elle baisse les yeux. Elle ne regarde pas son visage, elle le trouve trop sérieux. Elle s'imagine mal sourire. Elle fixe plutôt les muscles encore subtils qui bombent ses deux épaules. Comme ça, elle se sent fière.

vendredi 26 mars 2010

Un gros bobo

La petite de deux ans s'est fait mal. Elle s'est écorché le genou gauche sur l'asphalte, elle n'en peut plus de pleurer. Quand elle voit le sang qui dégoutte sur la chaussée gris pâle, elle demande à sa mère en hurlant : « C'est quoi qui coule, maman? C'est quoi qui coule! »
— Du sang, ma chérie. »
La petite ne sait pas de quoi elle parle.

Assise sur un banc, l'enfant pleure encore. À côté d'elle, un bras sur son épaule, sa mère la berce doucement. « Veux cacher le bobo, maman. » La mère nettoie sa blessure, y pose un pansement. « Parti le bobo, maman! »
— Parti, ma chérie. »
La petite sourit légèrement.

Bien sûr, pense la mère. Suffit de cacher le bobo pour qu'il disparaisse. Même s'il reste là.

mercredi 24 mars 2010

De retour

Les valises sont rendues à l'étage. Encore fermées. Elle doit ouvrir la sienne pour prendre son peigne, sa brosse à dents. Avec le bruit de la fermeture éclaire du bagage, un parfum humide. La mer.

Avant de prendre sa trousse de toilette, elle sort sa robe à bretelles pour la défroisser un peu. Elle la secoue d'une main légère devant la fenêtre de sa chambre à coucher. À la lumière blanche d'un ciel couvert d'où tombe la neige, le rose tendre de sa robe paraît bien terne.

En guise de réconfort, elle redescend à l'étage pour se faire couler un café. Fumant, serré. Avec un filet de crème.

lundi 8 mars 2010

Un peu de soleil

On pourrait mourir sur une plage sans que personne s’en rende compte. Même au milieu de sept cents, vingt-trois, deux vacanciers venus se tremper les orteils dans l’eau de mer. On pourrait s’étendre sur le sable brûlant et blond, les bras ouverts en croix, les cheveux éparpillés par la brise, les lèvres gonflées de soleil. On fermerait les yeux laissant croire d’avoir les oreilles ouvertes, tournées vers le cri des goélands assourdi par le bruit des vagues, du vent du large, des enfants qui rient. On serait beau et bronzé, capable d’être complètement immobile. On aurait l’air de savoir en profiter mieux que quiconque.

Moi, je resterai vivante.
Je n’en profiterai pas moins.

De retour dans deux semaines.

dimanche 7 mars 2010

Amie par ricochet

« Les filles, il faut que je vous dise : la mère de Simone a le cancer. C'est sérieux. Elle ne croit pas passer l'été. »

Nous étions toutes assises autour de la table, les coupes pleines, la bouteille au milieu. Nous étions bouche bée.

Aucune d'entre nous, sauf Laura, n'avait encore rencontré Simone. Pourtant, nous connaissions par coeur cette amie de la nôtre : son rire moqueur, ses cheveux courts, ses querelles amoureuses et ses deux fils, sa recette de tarte aux pommes. Chaque fois qu'on se voyait toutes les quatre, l'une d'entre nous demandait : « Et puis, comment va Simone? » Et Laura racontait.

À travers elle, Simone était notre amie.

mardi 2 mars 2010

La planète terre

Juste avant de se glisser sous la douche, Claire retire son pantalon de yoga, sa veste à fermeture éclaire, sa camisole rose saumon. Elle jette un coup d'oeil furtif à son reflet dans la glace, à ses hanches épaissies, ses seins tendus, veinés de bleu, son ventre. Son ventre aussi gros qu'une planète. Son ventre, comme sorti d'elle-même. Son ventre qu'elle ne reconnaît plus. Et juste sous le nombril, au-dessus du pubis qu'elle n'arrive plus à voir, Claire remarque une fissure violacée. Un tremblement de terre. Claire a envie de pleurer.

samedi 27 février 2010

Comme à la télé

C'est le personnage de Catherine qu'elle préfère. Son sens de la répartie et sa carrière d'auteur. Son mari Robert, qui ne l'écoute plus, et la vague naturelle de ses cheveux, qui donne du volume à sa crinière châtaine.

Elle savoure chacun des épisodes de la télésérie, calée dans son fauteuil blanc crème, un bol de raisins rouges dans les mains. Elle attend d'avoir couché les enfants, rangé la cuisine, éteint les lumières. Elle s'assure de voir Michel planté devant son ordinateur. Elle allume la télé.

Le jour venu, lorsque Michel ne l'écoute plus, Anne imagine les accords d'une trame sonore, qui accompagne l'air indifférent de son mari. Elle se prend secrètement pour une vedette de télésérie. Sa vie lui semble alors plus tolérable.

mercredi 24 février 2010

Un chaudron de chaudrée

Ils skient à la brunante, en pleine tempête de février. La neige lourde colle à leurs bottes, leur chapeau, aux arbres. Le vent est doux malgré l'hiver. Il fait un degré sous zéro.

Ils rentrent vers 19 h. Dans la mijoteuse, une chaudrée de fruits de mer cuit doucement depuis le matin. Du saumon bien rose, des crevettes, des palourdes, une feuille de laurier. Avec, un pain tendre, un camembert juste assez tiède, un verre de chardonnay. Un Jackson Triggs, qu'ils savourent en l'honneur des Jeux olympiques. Ils boivent lentement en écoutant le hockey.

dimanche 21 février 2010

La page blanche

Certains jours, elle n'a rien à dire. Elle reste assise à son bureau pendant des heures. Elle ne se lève que pour aller pisser, trois fois toutes les quinze minutes. Que pour manger, deux fois l'heure. Que pour regarder dehors, le reste du temps. C'est jours là, elle s'imagine agripper violemment l'écran de son ordinateur pour le passer à travers la fenêtre. Elle se convainc de laisser faire : changer de vitre serait trop de travail. Lorsqu'elle se résigne enfin à déposer le crayon sur sa page blanche, elle sent l'angoisse lui prendre la gorge. Le soir, elle pense : « Et si je n’avais plus jamais rien à dire ? »

mercredi 17 février 2010

Tout passe

Toujours dans le même livre, Anne est particulièrement touchée par cette phrase du personnage qui explique sa compréhension de la vie : « C'est peut-être ça, être vivant : traquer des instants qui meurent. »

Ça lui rappelle une vieille tante à elle, qui lui disait toujours : « Cela aussi passera. »

Aux premières larmes versées pour un garçon : « Cela aussi passera! » Devant cette lettre, où on lui refusait l'entrée à l'université : « Cela aussi passera! » Envers ce patron méprisant : « Cela aussi passera! » Et devant elle, le jour de son mariage. Devant Anne, magnifiquement vêtue de blanc. À ses cheveux bouclés, délicatement remontés par une pince, ses lèvres roses et ses joues aussi, son visage jeune et son corps solide. À sa beauté désarmante, sa tante avait dit : « Cela aussi passera... »

dimanche 14 février 2010

L'amour, toujours

L'écran de son ordinateur s'ouvre sur quelques mots d'amour. Un message écrit par l'homme qu'elle aime depuis onze ans.

« Ma chérie,
Les chemises sont prêtes. Puisque le nettoyeur est sur ton chemin de retour, pourrais-tu passer les prendre? Je rentrerai tard, ce soir. J'ai beaucoup de travail.
Je pense à toi, je t'aime.
Mi. »

Les mots sont affreusement banals. Mais, la certitude qu'il rentrera ce soir, et la lettre signée « je t'aime », ont quelque chose de rassurant.

jeudi 11 février 2010

Des bulles

Dans une boîte de carton rose qu'elle range sur la troisième tablette de la bibliothèque du salon, Claire garde chacun des bouchons de liège des bouteilles de champagne qu'elle ouvre, les jours de fête. Sur chacun d'eux, elle pose une étiquette.

« Dernier jour du bac »
« Fiançailles »
« Achat de la maison sur la rue des Passereaux »
« Test de grossesse positif »
« Deuxième test de grossesse positif »

Aujourd'hui, Claire sabre le champagne pour célébrer ses trente ans. Joyeux anniversaire...

lundi 8 février 2010

Dommages collatéraux

Luc et Rachel se sont rencontrés à 16 ans, derrière le comptoir d'un restaurant de service rapide. Elle était caissière, il flippait des burgers et salait les frites. Les soirs de fermeture, il passait la vadrouille à sa place pour qu'elle puisse terminer de compter sa caisse. Rachel comptait lentement. Ils finissaient la soirée ensemble autour d'un chocolat chaud et des restes de biscuits, qui n'avaient pas trouvé d'acheteurs. Ils étaient amis, parlaient de l'amour qu'ils ressentaient pour d'autres. Leur relation était sincère.

Un an plus tard, Rachel quittait la ville pour aller étudier. Ils n'ont jamais échangé de numéro de téléphone. Seulement une adresse courriel qu'ils utilisaient les jours de fête. Où les jours mauvais. Comme celui où il avait perdu sa mère, puis deux semaines après, son chien. Celui où elle avait fait une mauvaise chute, et qu'elle s'était cassée la cheville. Où il avait trompé sa femme avec sa voisine de droite. Où elle avait giflé son chat, son mari, son fils.

Rachel était une grande amie. Une amie rare. Malheureusement, aujourd'hui, c'est sa soeur qui écrit pour lui annoncer que Rachel n'écrira plus. Parce qu'elle est morte.

vendredi 5 février 2010

Une maison sale

Anne regarde le fouillis de la cuisine, du salon. Les miettes de chocolat collées sur le couvercle de la poubelle; les restes du gâteau d'anniversaire de son fils Arnaud, fêté deux semaines plus tôt. Le soleil de midi frappe la vitre de la porte-patio, laisse deviner des traces de doigts, de bouches, de langues. Sur le plancher verni, des égratignures marquent le passage d'un camion jaune, d'une auto de police, d'une poussette.

Là où Anne voit des coulisses de jus de pomme sur les murs, des miettes de pain dans les escaliers, des bas sales roulés en boule, sur la causeuse du salon, Anne voit la vie.

mercredi 3 février 2010

Face à face

« Cher Luc,
Je vous écris pour vous informer du décès de ma soeur Rachel. Un chauffard l'a frappé de plein fouet alors qu'elle revenait d'une fête, il y a de cela trois semaines. Elle n'a eu aucune chance. Elle était seule dans la voiture. Paul et les enfants n'ont rien, sinon une immense peine. J'ai trouvé votre adresse courriel dans sa liste de contacts. Je ne connaissais rien de votre relation avec elle. Je prends seulement l'initiative d'informer les gens inscris à son carnet d'adresse.
Toutes mes condoléances,
Catherine Larue. »

Luc a pris le courriel vers 13 h. De tout l'après-midi, il n'a bougé que les paupières pour déverser un trop-plein de larmes.

lundi 1 février 2010

Plat mijoté

Quinze degrés sous zéro depuis hier. Janvier arrive même à traverser les murs des maisons des quartiers chics.

Laura a mis une casserole de poisson frais au four. Du doré pêché par son père, avec des poireaux rôtis, des pommes de terre tranchées, du vin blanc, de la crème, une pincée de muscade. Elle attend 6 h avant d'en vérifier la cuisson. Elle passe le temps avec sa fille, sa plus vieille, cachée sous une jetée de fausse laine.

Quand sonne la minuterie, Laura s'arrache de sous la couverture. L'air de la maison est froid, comme si le système de chauffage n'arrivait pas à chauffer l'immense pièce, ses douze pieds de plafond. Les mains dans les mitaines, Laura grelotte quand même. Elle tremble jusqu'à se qu'elle ouvre la porte du four. Jusqu'à ce qu'elle sente la chaleur sur son visage, ses bras. L'odeur d'un plat fait maison.

samedi 30 janvier 2010

C'est une fille!

Ils l'appelleront Maryse.

mercredi 27 janvier 2010

Le bouquet

Après avoir changé l'eau du vase, elle a remis les fleurs sur la table. Un bouquet de roses rouges échevelées, la tête basse, les pétales ridés. Il n'y avait plus rien à faire avec elle, mais Anne insistait pour les garder. Même si les regarder faisait peine à voir, même si le rouge presque brun des fleurs gâchait la netteté de sa salle à manger

À ma figure navrée, elle a dit : « Je les garde pour qu'il se souvienne. Pour qu'il reprenne chaque fois son air désolé. » Sur le rebord du vase clair, Anne avait fixé la carte, sur laquelle on pouvait très bien lire : je te demande pardon. « Bien sûr, j'ai pensé. Quand elle jettera les fleurs à la poubelle, l'histoire deviendra vieille. Presque oubliée.

samedi 23 janvier 2010

La soif

Depuis qu’elle attend un enfant, Claire a de nouvelles amies, mamans comme elle. Parmi celles-là, une femme très moderne. Une ingénieure, qui a laissé sa carrière pour s’occuper de ses enfants. « Rester à la maison demande beaucoup de patience, et un seuil de tolérance élevé. Alors, chaque jour, j’attends 4 heures pour me verser un verre. Après quoi, je vais mieux. »

L’ex-ingénieure-maintenant-maman boit à cause des fenêtres sales, et de son fils qui refuse encore de pisser sur le pot. Elle boit aussi à cause du tas de vaisselle qui n’en finit plus de s’empiler. Après le deuxième verre de rouge, elle ne voit même plus les traces de doigts qui tachent le verre.

jeudi 21 janvier 2010

Je t'aime?

Il lui dit encore : je t’aime. Elle ne lui a jamais demandé pourquoi. Heureusement, puisqu’il ne s’en souvient plus.

dimanche 17 janvier 2010

Prix de consolation

Dans le livre qu’Anne est en train de lire, le personnage raconte que son mariage fut une réussite. En parlant de son mari, la femme de l’histoire dit : « Il ne buvait pas, ne fumait pas, ne pariait pas, n’allait pas voir d’autres femmes. »

Anne pense à son mari à elle : «Ça pourrait être pire. Il pourrait me quitter. » Alors, elle aussi se considère chanceuse.

jeudi 14 janvier 2010

Haïti

Elle lit : « Depuis deux jours, c’est la catastrophe. Un premier bilan fait état de 50 000 morts. » Elle est dévastée. En lisant le journal, elle veut aider aussi. Elle est sincère. Troublée, devant ces pages pleines d’enfants écorchées, de mots qui saignent. Bouleversée, jusqu’à ce que sa fille l’appelle, du haut de l’escalier. Que la voisine arrive, que le téléphone sonne. Alors, elle oublie vite la nouvelle.

L’après-midi, en route pour la maison, elle s’arrête dans une boutique. Elle s’achète une nouvelle robe sans repenser aux enfants d’Haïti.

mercredi 13 janvier 2010

Date de péremption

Ça lui arrive surtout à l’épicerie. Devant les berlingots de crème, les pots de yogourt, les cartons de lait. Au moment de prendre l’emballage. Juste avant de le déposer dans le panier, elle jette un coup d’œil à la date de péremption. MR 27 2010. Elle pense : « À cette date, nous serons déjà rentrés de vacances. Les bagages seront défaits. Les valises rangées au sous-sol. » Ou encore : « À cette date, mon père sera chez nous, assis devant le feu de foyer. Peut-être alors finirons-nous ce fromage. »

Aujourd’hui, en agrippant le pain, elle voit l’attache de plastique et pense : « À cette date, j’aurai vu le bébé à l’échographie. Je saurai enfin qui pousse dans mon ventre. »

dimanche 10 janvier 2010

Jardin secret

Si tu me trompes, je ne veux pas le savoir.

Cette phrase le scie en deux. Il regarde sa femme briller à la lumière de la chandelle. Sa chevelure épaisse, brune, presque noire. Elle lui semble soudainement étrangère.

— Bien sûr que oui! Bien sûr que je te dirais tout!

— Non, que je te dis! Surtout pas! Si jamais tu sautes la clôture, ai au moins le courage de garder cela pour toi. Ne viens pas bousiller mon esprit tranquille, ma vie calme et heureuse. Assume-toi!

— Il n’en est pas question!

— Et pourquoi est-ce que je devrais souffrir pour toi?

— Parce que moi, je voudrais le savoir!

Elle hausse les sourcils. Termine son verre de champagne.

Le soir, il la regarde encore. Ses longues jambes, sa croupe épaisse, le creux de son cou et ses épaules satinées. Une question lui brûle les lèvres. Malgré cela, il reste muet. Il connaît déjà la réponse. À côté d’elle, il s’imagine déjà cocu.

jeudi 7 janvier 2010

Un peu de répit

Le bonheur a un goût de café au lait et de biscuit double chocolat aux amandes.
Un instant, seule au café d'en face.

mercredi 6 janvier 2010

Road trip

Quand elle n’en peut plus de les entendre brailler, elle les embarque tous les deux dans la voiture. Elle s’assoit devant, boucle sa ceinture, embraye en douceur, la musique à tue-tête. Elle avance lentement. S’imagine rouler à 200 à l’heure. Les petits peuvent bien hurler à s’en briser la gorge, elle n’entend plus rien. Sinon, le bruit du vent qu’elle imagine remplir ses oreilles.

lundi 4 janvier 2010

Don d'organes

Elle a égaré sa carte d’assurance maladie. À l’hôpital du quartier, au comptoir des prescriptions de la pharmacie, en retirant quelques billets de son portefeuille, elle ne saurait dire. Elle sait seulement qu’elle ne la trouvait plus au moment de la tendre à la secrétaire du médecin, lors de sa dernière visite à la clinique. Elle devra en commander une autre, et vite. Elle en aura besoin bientôt, compte tenu des rendez-vous mensuels de son suivi de grossesse.

* * *

Elle reçoit la nouvelle carte par la poste. Un bout de plastique avec sa face posée dessus. Elle se trouve moche sur la photo. Elle aurait dû refaire sa couleur avant de faire prendre le cliché.

Avec la carte, on a glissé une lettre. Avec la lettre, un autocollant. « Veillez apposer l’étiquette au dos de votre carte, puis la signer, si vous souhaitez faire don de vos organes », dit la lettre. Devant les mots inscrits sur la feuille, devant l’étiquette, Claire devient mal à l’aise. Avec la vie au creux de son ventre, l’idée de mourir est insoutenable.

Alors que, de l’intérieur, le bébé étire le bras pour lui faire une caresse, Claire laisse l’étiquette sur la feuille. La feuille dans l’enveloppe. Elle balance tout au recyclage.