lundi 29 mars 2010

Une femme forte

Elle soulève des haltères. Douze fois, quinze fois, vingt fois, puis elle recommence. Jusqu'à ce qu'elle ait mal. Jusqu'à ce que ça lui fasse du bien.

Elle s'entraîne face aux miroirs devant lesquels elle baisse les yeux. Elle ne regarde pas son visage, elle le trouve trop sérieux. Elle s'imagine mal sourire. Elle fixe plutôt les muscles encore subtils qui bombent ses deux épaules. Comme ça, elle se sent fière.

vendredi 26 mars 2010

Un gros bobo

La petite de deux ans s'est fait mal. Elle s'est écorché le genou gauche sur l'asphalte, elle n'en peut plus de pleurer. Quand elle voit le sang qui dégoutte sur la chaussée gris pâle, elle demande à sa mère en hurlant : « C'est quoi qui coule, maman? C'est quoi qui coule! »
— Du sang, ma chérie. »
La petite ne sait pas de quoi elle parle.

Assise sur un banc, l'enfant pleure encore. À côté d'elle, un bras sur son épaule, sa mère la berce doucement. « Veux cacher le bobo, maman. » La mère nettoie sa blessure, y pose un pansement. « Parti le bobo, maman! »
— Parti, ma chérie. »
La petite sourit légèrement.

Bien sûr, pense la mère. Suffit de cacher le bobo pour qu'il disparaisse. Même s'il reste là.

mercredi 24 mars 2010

De retour

Les valises sont rendues à l'étage. Encore fermées. Elle doit ouvrir la sienne pour prendre son peigne, sa brosse à dents. Avec le bruit de la fermeture éclaire du bagage, un parfum humide. La mer.

Avant de prendre sa trousse de toilette, elle sort sa robe à bretelles pour la défroisser un peu. Elle la secoue d'une main légère devant la fenêtre de sa chambre à coucher. À la lumière blanche d'un ciel couvert d'où tombe la neige, le rose tendre de sa robe paraît bien terne.

En guise de réconfort, elle redescend à l'étage pour se faire couler un café. Fumant, serré. Avec un filet de crème.

lundi 8 mars 2010

Un peu de soleil

On pourrait mourir sur une plage sans que personne s’en rende compte. Même au milieu de sept cents, vingt-trois, deux vacanciers venus se tremper les orteils dans l’eau de mer. On pourrait s’étendre sur le sable brûlant et blond, les bras ouverts en croix, les cheveux éparpillés par la brise, les lèvres gonflées de soleil. On fermerait les yeux laissant croire d’avoir les oreilles ouvertes, tournées vers le cri des goélands assourdi par le bruit des vagues, du vent du large, des enfants qui rient. On serait beau et bronzé, capable d’être complètement immobile. On aurait l’air de savoir en profiter mieux que quiconque.

Moi, je resterai vivante.
Je n’en profiterai pas moins.

De retour dans deux semaines.

dimanche 7 mars 2010

Amie par ricochet

« Les filles, il faut que je vous dise : la mère de Simone a le cancer. C'est sérieux. Elle ne croit pas passer l'été. »

Nous étions toutes assises autour de la table, les coupes pleines, la bouteille au milieu. Nous étions bouche bée.

Aucune d'entre nous, sauf Laura, n'avait encore rencontré Simone. Pourtant, nous connaissions par coeur cette amie de la nôtre : son rire moqueur, ses cheveux courts, ses querelles amoureuses et ses deux fils, sa recette de tarte aux pommes. Chaque fois qu'on se voyait toutes les quatre, l'une d'entre nous demandait : « Et puis, comment va Simone? » Et Laura racontait.

À travers elle, Simone était notre amie.

mardi 2 mars 2010

La planète terre

Juste avant de se glisser sous la douche, Claire retire son pantalon de yoga, sa veste à fermeture éclaire, sa camisole rose saumon. Elle jette un coup d'oeil furtif à son reflet dans la glace, à ses hanches épaissies, ses seins tendus, veinés de bleu, son ventre. Son ventre aussi gros qu'une planète. Son ventre, comme sorti d'elle-même. Son ventre qu'elle ne reconnaît plus. Et juste sous le nombril, au-dessus du pubis qu'elle n'arrive plus à voir, Claire remarque une fissure violacée. Un tremblement de terre. Claire a envie de pleurer.