vendredi 30 octobre 2009

Bonhommes de neige

C'est l'hiver. Anne doit habiller les enfants. Chaque matin : six mitaines et six bottes, trois habits, qui semblent toujours trop grands. Trois tuques et trois écharpes, trois enfants ronds comme des ballons.
Malheureusement, Anne ne peut pas les faire rouler jusqu'à la voiture.

Sur son épaule droite : deux sacs à couches et deux sacs à lunch, un sac d'école et un sac à main. Sur sa hanche gauche, Arnaud, qui ne marche pas encore. Dans sa main droite, celle d'Annabelle, la petite qui trébuche un pas sur deux. Et loin, trop loin devant, Adrien, qui court dans la neige.

Une fois la portière de la voiture ouverte, Anne n'a plus la force de les hisser tous les trois jusqu'aux sièges d'auto. Pourtant, à chaque matin, elle arrive quand même à le faire.

mardi 27 octobre 2009

Film de guerre

Luc a loué un film de guerre. C'est un film américain, qui se passe ici. C'est l'histoire d'un homme et d'un fusil. D'un homme bon, puisqu'il s'enrage contre les truands. Un homme qu'on excuse, qu'on glorifie même, qu'on admire, malgré la fureur, la torture qu'il inflige, la vie qu'il prend. Et lorsque Luc voit la sueur et le sang, lorsqu'il entend les cris des méchants qui hurlent de peur, Luc se détend. Ça lui fait du bien.

dimanche 25 octobre 2009

Superstition

Claire ne croit pas en Dieu. Elle s'est pourtant souvent posée la question, sans toutefois se résoudre à croire que quelqu'un d'autre pourrait décider pour elle. Mais voilà qu'elle est assise en train de pisser dans une toilette publique. Elle a la tête entre les cuisses, une boule de papier dans les mains. Elle marmonne entre ses dents serrées : « Seigneur, faites que je ne saigne pas. » Depuis qu'elle est enceinte, chaque fois qu'elle pisse, Claire fait une prière.
***

Elle a fait tomber la salière. Pourtant, Claire ne sale jamais ses tomates. Elle préparait un sandwich débordant de mayonnaise sans gras, de moutarde de Dijon, avec deux tranches épaisses de tomates italiennes juteuses. Elle a tendu le bras pour prendre le poivre, elle a accroché le sel. Son ventre s'est crispé au bruit de la salière frappant le comptoir. Elle a tout de suite cru qu'une malédiction s'abattrait sur elle.

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La voilà qui pisse encore. Alors qu'elle parle toute seule, Claire aperçoit un sou noir dans le coin du cabinet de toilette. Tout de suite rassurée, elle étire le bras pour ramasser la pièce de monnaie, et pense encore : « Je fais le voeu d'un bébé en santé. » Puis se sent ridicule.

vendredi 23 octobre 2009

Dessert maison

Je lui avais cuisiné un macaroni au fromage. J'avais quand même utilisé de la crème et du cheddar vieilli, du basilic frais.

Elle a dit : « J'en ai marre des mères indignes à la mode! »
Sa plus vieille venait de commencer l'école, et elle devait lui préparer un lunch à tous les matins. Elle s'était promis, dès la première semaine, de lui cuisiner un dessert différent chaque dimanche : des flans au caramel et du pain au banane, des biscuits à l'avoine, aux raisins, au chocolat, du gâteau des anges nappé de fraises, des yogourts maison.

J'ai jeté un oeil aux assiettes de pâtes posées sur la table. J'ai regretté les asperges grillées, que je voulais faire comme plat d'accompagnement. J'ai regardé Anne. En silence, j'ai admiré son dévouement. J'ai dit « Chez nous, on ne mange pas de dessert. »

mardi 20 octobre 2009

Francine

Il y a de ces femmes solides comme le roc. C'est comme si elles avaient été construites à même une montagne. Étrangement, elles ont souvent un coeur tendre et grand, immensément grand. Parmi celles-là, je pense à Francine, qui a eu un enfant malade. Est-ce son fils, atteint du cancer, qui a solidifié les épaules de Francine? Ou est-ce la vie qui a offert à ce fils les épaules d'une mère forte pour qu'il puisse s'y poser? Heureusement, ce fils était lui aussi solide. Il tient encore debout, plus droit qu'avant.

Depuis la maladie de ce fils, Francine aide les autres enfants malades et leurs parents. Elle ramasse des sous pour soutenir la recherche du cancer chez les enfants. Pour faire construire des chambres dignes d'un dernier repos, à l'hôpital Sainte-Justine. Pour payer le loyer d'une mère qui souhaite veiller au chevet de sa fille jusqu'au dernier moment. Et aux côtés de ces mères, de ces pères défaits qui doivent faire face à l'inacceptable, Francine veille aussi. Elle reste solide comme le roc, et elle ouvre son coeur si grand, que les parents ont enfin un endroit où venir pleurer.

Bravo Francine.
http://www.gouverneursdelespoir.org/indexz.php

lundi 19 octobre 2009

Prise 3

Mon ventre est flasque, pareil à celui d'une femme qui a porté deux enfants. C'est subtil, lorsque je me tiens droite. C'est pire, lorsque je m'assois. Quand je m'en rends compte, je me sens laide. Il faut alors que je pense très fort aux deux filles que j'ai mises au monde.

Lorsque je regarde Claire, je la trouve jeune et belle, avec son ventre plat. Pourtant, Claire a le même âge que moi, même pas 30 ans. Étrangement, lorsqu'elle me regarde, Claire me trouve jeune et belle. Pas comme elle, encore plus. Comme une femme redevenue jeune, les deux genoux dans le sable, avec les pelles et les camions. Comme une femme embellit par l'amour des petits bras qu'elle porte autour du cou.

Claire ne porte pas encore l'amour, malgré le bébé qui pousse dans son ventre depuis 4 semaines. Elle est enceinte, elle vient juste de l'apprendre. Malgré la nouvelle, la maman n'arrive pas à être heureuse. Pas cette fois. Pas après avoir laissé tomber les deux autres malgré elle. « Un avortement spontané n'est jamais de votre faute », lui a dit le médecin. Elle le sait. Pourtant, elle cherche encore comment ils se sont s'échappés. Elle se demande encore comment elle pourra encore une fois espérer. Comment être heureuse. Jeune, belle et heureuse comme une maman.

dimanche 18 octobre 2009

Les personnages

C'est l'histoire de Claire, enceinte pour la troisième fois. Elle attend son premier enfant.

De Laura, mère de deux enfants. Elle est mère à temps plein comme toutes les autres. Sauf qu'elle reste à la maison.

D'Anne, mère de trois enfants. Elle travaille à temps plein comme toutes les autres, puisqu'elle n'a pas le choix. Heureusement, il lui arrive parfois d'aimer son travail.

De Luc, le seul gars de l'histoire.

Et parfois des autres, croisés par hasard.