samedi 30 janvier 2010

C'est une fille!

Ils l'appelleront Maryse.

mercredi 27 janvier 2010

Le bouquet

Après avoir changé l'eau du vase, elle a remis les fleurs sur la table. Un bouquet de roses rouges échevelées, la tête basse, les pétales ridés. Il n'y avait plus rien à faire avec elle, mais Anne insistait pour les garder. Même si les regarder faisait peine à voir, même si le rouge presque brun des fleurs gâchait la netteté de sa salle à manger

À ma figure navrée, elle a dit : « Je les garde pour qu'il se souvienne. Pour qu'il reprenne chaque fois son air désolé. » Sur le rebord du vase clair, Anne avait fixé la carte, sur laquelle on pouvait très bien lire : je te demande pardon. « Bien sûr, j'ai pensé. Quand elle jettera les fleurs à la poubelle, l'histoire deviendra vieille. Presque oubliée.

samedi 23 janvier 2010

La soif

Depuis qu’elle attend un enfant, Claire a de nouvelles amies, mamans comme elle. Parmi celles-là, une femme très moderne. Une ingénieure, qui a laissé sa carrière pour s’occuper de ses enfants. « Rester à la maison demande beaucoup de patience, et un seuil de tolérance élevé. Alors, chaque jour, j’attends 4 heures pour me verser un verre. Après quoi, je vais mieux. »

L’ex-ingénieure-maintenant-maman boit à cause des fenêtres sales, et de son fils qui refuse encore de pisser sur le pot. Elle boit aussi à cause du tas de vaisselle qui n’en finit plus de s’empiler. Après le deuxième verre de rouge, elle ne voit même plus les traces de doigts qui tachent le verre.

jeudi 21 janvier 2010

Je t'aime?

Il lui dit encore : je t’aime. Elle ne lui a jamais demandé pourquoi. Heureusement, puisqu’il ne s’en souvient plus.

dimanche 17 janvier 2010

Prix de consolation

Dans le livre qu’Anne est en train de lire, le personnage raconte que son mariage fut une réussite. En parlant de son mari, la femme de l’histoire dit : « Il ne buvait pas, ne fumait pas, ne pariait pas, n’allait pas voir d’autres femmes. »

Anne pense à son mari à elle : «Ça pourrait être pire. Il pourrait me quitter. » Alors, elle aussi se considère chanceuse.

jeudi 14 janvier 2010

Haïti

Elle lit : « Depuis deux jours, c’est la catastrophe. Un premier bilan fait état de 50 000 morts. » Elle est dévastée. En lisant le journal, elle veut aider aussi. Elle est sincère. Troublée, devant ces pages pleines d’enfants écorchées, de mots qui saignent. Bouleversée, jusqu’à ce que sa fille l’appelle, du haut de l’escalier. Que la voisine arrive, que le téléphone sonne. Alors, elle oublie vite la nouvelle.

L’après-midi, en route pour la maison, elle s’arrête dans une boutique. Elle s’achète une nouvelle robe sans repenser aux enfants d’Haïti.

mercredi 13 janvier 2010

Date de péremption

Ça lui arrive surtout à l’épicerie. Devant les berlingots de crème, les pots de yogourt, les cartons de lait. Au moment de prendre l’emballage. Juste avant de le déposer dans le panier, elle jette un coup d’œil à la date de péremption. MR 27 2010. Elle pense : « À cette date, nous serons déjà rentrés de vacances. Les bagages seront défaits. Les valises rangées au sous-sol. » Ou encore : « À cette date, mon père sera chez nous, assis devant le feu de foyer. Peut-être alors finirons-nous ce fromage. »

Aujourd’hui, en agrippant le pain, elle voit l’attache de plastique et pense : « À cette date, j’aurai vu le bébé à l’échographie. Je saurai enfin qui pousse dans mon ventre. »

dimanche 10 janvier 2010

Jardin secret

Si tu me trompes, je ne veux pas le savoir.

Cette phrase le scie en deux. Il regarde sa femme briller à la lumière de la chandelle. Sa chevelure épaisse, brune, presque noire. Elle lui semble soudainement étrangère.

— Bien sûr que oui! Bien sûr que je te dirais tout!

— Non, que je te dis! Surtout pas! Si jamais tu sautes la clôture, ai au moins le courage de garder cela pour toi. Ne viens pas bousiller mon esprit tranquille, ma vie calme et heureuse. Assume-toi!

— Il n’en est pas question!

— Et pourquoi est-ce que je devrais souffrir pour toi?

— Parce que moi, je voudrais le savoir!

Elle hausse les sourcils. Termine son verre de champagne.

Le soir, il la regarde encore. Ses longues jambes, sa croupe épaisse, le creux de son cou et ses épaules satinées. Une question lui brûle les lèvres. Malgré cela, il reste muet. Il connaît déjà la réponse. À côté d’elle, il s’imagine déjà cocu.

jeudi 7 janvier 2010

Un peu de répit

Le bonheur a un goût de café au lait et de biscuit double chocolat aux amandes.
Un instant, seule au café d'en face.

mercredi 6 janvier 2010

Road trip

Quand elle n’en peut plus de les entendre brailler, elle les embarque tous les deux dans la voiture. Elle s’assoit devant, boucle sa ceinture, embraye en douceur, la musique à tue-tête. Elle avance lentement. S’imagine rouler à 200 à l’heure. Les petits peuvent bien hurler à s’en briser la gorge, elle n’entend plus rien. Sinon, le bruit du vent qu’elle imagine remplir ses oreilles.

lundi 4 janvier 2010

Don d'organes

Elle a égaré sa carte d’assurance maladie. À l’hôpital du quartier, au comptoir des prescriptions de la pharmacie, en retirant quelques billets de son portefeuille, elle ne saurait dire. Elle sait seulement qu’elle ne la trouvait plus au moment de la tendre à la secrétaire du médecin, lors de sa dernière visite à la clinique. Elle devra en commander une autre, et vite. Elle en aura besoin bientôt, compte tenu des rendez-vous mensuels de son suivi de grossesse.

* * *

Elle reçoit la nouvelle carte par la poste. Un bout de plastique avec sa face posée dessus. Elle se trouve moche sur la photo. Elle aurait dû refaire sa couleur avant de faire prendre le cliché.

Avec la carte, on a glissé une lettre. Avec la lettre, un autocollant. « Veillez apposer l’étiquette au dos de votre carte, puis la signer, si vous souhaitez faire don de vos organes », dit la lettre. Devant les mots inscrits sur la feuille, devant l’étiquette, Claire devient mal à l’aise. Avec la vie au creux de son ventre, l’idée de mourir est insoutenable.

Alors que, de l’intérieur, le bébé étire le bras pour lui faire une caresse, Claire laisse l’étiquette sur la feuille. La feuille dans l’enveloppe. Elle balance tout au recyclage.